Téhéran remet en scène son faux porte-avions américain<!-- --> | Atlantico.fr
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porte-avions américain Nimitz Chantier naval Bandar Abbas Iran
porte-avions américain Nimitz Chantier naval Bandar Abbas Iran
©DR

Cheval de Troie

En 2014, l’Iran a construit une réplique d’un porte-avions américain de la classe Nimitz à l’échelle 2/3 au chantier naval de Bandar Abbas. Cette maquette devait servir pour des exercices et pour tester de nouvelles tactiques contre ce type de navire.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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En avril 2014, les analystes militaires avaient été étonnés de voir sur des photos satellite ce qui ressemblait à un porte-avions en construction à Bandar Abbas en Iran. Très rapidement, ils s’étaient aperçus que sa taille n’était qu’un "modèle réduit" aux 2/3 d’un porte-aéronefs américain de la classe Nimitz. Des photos prises à quai avaient révélé qu’il s’agissait bien d’une maquette en bois totalement vide d’équipements, de motorisation et d’équipage. Même les avions visibles sur le pont étaient des leurres. La maquette dévoilée aujourd’hui est longue de 200 mètres (contre 300 mètres pour un porte-avions de classe Nimitz) et large de 50 mètres (contre 75 mètres pour son modèle) et comporte 16 répliques d’avions sur le pont.

L’objectif en 2014 consistait à utiliser ce leurre comme une cible lors de manœuvres navales (appelées "Grand Prophète 9"). Elles se sont tenues en février 2015. À cette occasion, de nombreuses armes ont été mises en œuvre par la composante navale des pasdarans dont des mitrailleuses et des roquettes armant des vedettes rapides manoeuvrent en essaims, des missiles air-mer lancés depuis des hélicoptères, un missile balistique puis un de croisière tiré depuis une batterie côtière. Cela s'était terminé par un assaut héliporté de commandos sur ce qui restait du pont de la maquette. Le tout avait été filmé, les copies étant largement diffusées à la presse alors que les négociations portant sur l’arrêt de l’effort militaire nucléaire iranien étaient alors en cours avec le "groupe 5+1", les cinq membres du Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne.

Une fois l’exercice terminé, ce qui restait de la maquette qui avait, en fin de compte, relativement peu été endommagée, seuls les avions factices ayant disparu (l’absence de matières inflammables et d’explosifs à bord de cette immense barge avait fait qu’elle était inerte comme un bateau en bois) avait été remorqué jusqu’au port de Bandar Abbas où tout le monde l’avait oublié. D’ailleurs, l’accord de Vienne (JCPOA) avait été signé le 15 juillet et l'ambiance s'était apaisée…

Mais en mai 2018, le Président Donald Trump avait décidé de retirer les États-Unis de l’accord JCPOA et avait redémarré une politique de "pression maximale" à l’égard de Téhéran avec pour objectif assumé de faite tomber le "régime des mollahs".

À noter que dans les jours qui viennent, le groupe aéro-naval accompagnant l’USS Nimitz devrait venir relever dans le Golfe persique celui de l’USS Dwight D. Eisenhower. Cela signifie que durant une courte période, il va y avoir beaucoup de navires de guerre américains sur zone…

Après avoir réparé la maquette en octobre 2019, la structure en bois s’y prêtant bien, les Iraniens ont décidé au moment où la tension ne cesse de croître avec les Américains, de jouer un nouvel épisode de "Guerre dans le Pacifique", mais dans le Golfe persique. L’exercice baptisé "Grand Prophète 14" s’est déroulé du 28 au 30 juillet et a eu lieu à l’ouest du Détroit d’Ormuz.

Toutefois, il convient de replacer dans son contexte cette manoeuvre dirigée par les pasdarans (qui ont en charge le Détroit d’Ormuz et le Golfe persique, la Marine prenant en compte la Mer d’Arabie). Plus que tactiquement utile, elle est avant tout un rappel de la volonté de bloquer le Détroit d’Ormuz si la pression exercée était jugée atteindre un niveau intolérable, en fait si elle mettait vraiment le régime en place à Téhéran en danger. Techniquement, c’est faisable avec le mouillage de nombreuses mines marines et en couvrant cette zone étroite de feux fournis majoritairement par des batteries côtières enterrées.

Quant à la manœuvre en elle-même, ce n’est que de la propagande car la cible ne bénéficie pas de la capacité de se mouvoir et surtout, d’être protégée par sa flotte embarquée (sans compter les appareils stationnés sur les bases aériennes situées à l’ouest du Détroit d’Ormuz) et ses navires d’escorte. Par contre, les téléspectateurs ont eu droit à de bons films de guerre qui les ont changé de la catastrophe représentée par le coronavirus(1). Il est d’ailleurs notable de souligner que ces films mettaient, en plus des pasdarans à la manoeuvre, des actions lancées par des avions de l’armée de l’air et des bâtiments de la marine « classiques ». Cette propagande est aussi destinée  pour les populations iraniennes qui sont très durement touchées par le coronavirus aggravé par les sanctions économiques.

(1). Fin juillet, des premiers films montraient un assaut de commandos par hélicoptères, des vedettes rapides entourant la cible, des tirs de bombes guidées Sadid (300 kilos) depuis des drones Shahed-129 et d’un avion Su-22M4… La nouveauté, des tirs de missiles balistiques enterrés ainsi que depuis des rampes de lancement…

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